mercredi 4 mars 2009
Apprendre à se connaître après s' être reconnu
Apprendre à se connaître après s' être reconnu, c' est à cette tache que s'est attelé Mandela en Afrique du Sud. Plutôt que de rechercher une responsabilité des uns et des autres pour des faits qui se sont passé il y a plus de 150 ans, c'est à une lutte contre le racisme séquelle de l'esclavage qu'il faut appeler les martiniquais.
Peut on laisser dire sans réponses le fait que les "békés" vivant aujourd'hui à la Martinique sont responsables de l'esclavage, parce qu'ils bénéficient des fortunes faites par leurs ancêtres sur le dos des esclaves il y a plus de 150 ans. Cette affirmation a l' évidence fausse procède des mêmes mécanismes pervers qui ont rendu le juifs du XX° siècle responsables de la mort du Christ il y a 2.000 ans; ou qui ont conduit les Serbes à exterminer les Bosniaques au nom de la purification ethnique.
Contre une approche réductrice :
C'est une approche singulièrement réductrice de la complexité de la formation historique de la société Martiniquaise. Oui l'esclavage est et a été un crime. Oui les "blancs créoles" propriétaires d' esclaves ont été bénéficiaires de l'esclavage, et une partie de la fortune de leurs descendants provient de cette accumulation forcée, mais une partie seulement. Ont-ils été les seuls bénéficiaires ? Loin s'en faut. A côté des blancs, propriétaires d'esclaves, il y avait aussi des libres, mulâtres et noirs qui bien qu'en moindre nombre possédaient des esclaves, pratiquement 1/4 de la population esclaves était leur propriété vers 1836. C'est dire si la société était complexe. Enfin on admet aujourd'hui que le principal bénéficiaire de l'ensemble du système esclavagiste et de la traite a été le "Capital Marchand" de toute nationalité. La question se complique dans la société martiniquaise, si l'on veut parler de la responsabilité de la population actuelle du fait de ses ancêtres.
Ne pas éviter les questionnements :
Mais dire que le groupe "béké" aujourd'hui ne peut être tenu pour responsable de l'esclavage, permet en même temps de poser quelques questions. Qu'est ce que le groupe "Béké" 150 ans après l'abolition de l'esclavage? Son type de fonctionnement pose t'il problème ? Est il le seul de ce type dans la société Martiniquaise ?
Répondre à la première question n' est pas simple car les contours du groupe "béké" ne sont pas tout à fait les mêmes qu'ils soient déterminés par ceux qui déclarent en faire partie, ou par le regard des autres. Est ce une survivance historique ? Est ce une classe sociale ? Est ce un groupe de pression ? Est ce un groupe familial ? Est ce un groupe ethnique? Est ce un groupe racial ? Tour a tour ce groupe est un peu de tout cela, mais ne peut se définir par un seul critère. Tous les "Békés" ne sont pas de riches propriétaires. Tous les "Békés" ne sont pas liés familialement, même s'ils se considèrent comme parents et pratiquent volontiers les mariages au sein du groupe. Ce n' est pas à proprement parler un groupe ethnique, dans la mesure où ils partagent bien des éléments culturels à commencer par le créole et le français avec tous les martiniquais, et que les codes sociaux permettant de gérer les relations entre ce groupes et tous les autres groupes de la société martiniquaise sont parfaitement reconnus. Reste cependant que c'est un groupe à fondement racial, qui pratique facilement l'exclusion, et c'est là que son fonctionnement pose problème et non en tant que groupe familial par exemple.
La principale cause d' exclusion est raciale. Pratiquement tous les éléments d'une famille alliée à des non-blancs sont exclus du groupe, par exemple les couples mixtes, sans pour autant parfois être exclus du sous groupe familial. N'osant pas affronter l' exclusion que comportait la reconnaissance officielle de leur famille de couleur, des "békés" ont préféré vivre dans le non dit, ce qui n' empêche d'ailleurs pas la plupart du temps leurs descendants de connaître leurs origines. On est au coeur du drame de la société multiraciale martiniquaise. Mais ce n' est pas la seule cause d' exclusion. Sont aussi exclus du groupe ceux qui ne font aucune différence selon la couleur des uns et des autres; et ceux dont les opinions sont par trop éloignées des stéréotypes du groupe. Ces subtilités ne peuvent pas être perçues dans le regard des autres martiniquais. Pour eux ceux ci sont et restent des "békés".
Deux racismes s'opposent qu'il faut combattre par tous les moyens
Cette situation est révélatrice de la société martiniquaise. Deux racismes s'opposent celui qui permet au groupe "béké" de se constituer comme un groupe racial, celui qui somme les exclus de rester partie de ce groupe racial. Le fonctionnement du groupe "béké" pose donc problème, mais le fait d'y renvoyer ceux qui s'en excluent pose aussi problème. L'un et l'autre de ces comportements révèlent la vrai question celle de la place du racisme dans la société martiniquaise d'aujourd'hui, comme séquelle de l'esclavage, et de la nécessité de le combattre par tous les moyens.
Parler des séquelles de l' esclavage c'est proclamer qu'il n'y a pas de destin sacré de l'homme blanc comme il n'y a pas de destin maudit de l'homme noir, que c'est l'idéologie destinée à assurer la reproduction du système eclavagiste qui est à l'origine du racisme. Le racisme s'exerce contre les noirs dans nos contrées, mais dans les colonies hollandaises de Java ou d'Indonésie, c'est contre les jaunes esclaves qu'il s'est développé.
Pour le penser, le dire et le pratiquer ouvertement quelques uns ont été exclus du milieu béké, sans pour autant avoir retrouvé une autre place dans la société Martiniquaise. Peut être serait il temps d' apprendre à se connaître ? Que pouvons nous faire les uns et les autres pour qu'avec l'apaisement d'une réapropriation collective de l'histoire, en ce 150° anniversaire de l'abolition de l'esclavage, nous puissions dire à nos enfants "plus jamais ça" ? En quelque sorte à quand un Mandela Martiniquais ?
Hugues et Bernard PETITJEAN ROGET
22 Mai 1998
Inscription à :
Articles (Atom)